De l’ère Homère

Je suis toujours ce que je vais devenir. Georges Perros

Dans l’esprit de ce travail s’immisce le fascisme, l’Empire et ses colonies, les guerres de libération, l’URSS et le Politburo, le dollar et l’Amérique,
la peur des hivers nucléaires, le sexe et les sexes, la lecture du journal paternel l’Humanité, les pages couleur du Petit Larousse, les aventures des Pieds nickelés, les scoops de Paris-Match, les films de série B, la lecture de Pif gadgets, le Mai 68, les années fric, la force tranquille d’une génération, la chute du mur de Berlin, le beurre et l’argent du beurre et le cul de la crémière, les Baba, les Bobo et tant d’autres choses inavouables ou belles d’un siècle si cruel.
Fragments d’images et sons d’enfance, humus de mon éducation élevé au cœur des trente glorieuses.
Radio TSF. Le plan Marshall. L’Indochine et Yvette Horner, la guerre d’ Algérie, l’école primaire et le Tour de France de Louison Bobet,
l’apparition de la télévision et en tête de gondole dans cet écran de la reconstruction l’inimitable Général De Gaulle.

Epoque révolue.
Je pense à mon père, à ma mère, à leurs rêves de 36 et ceux lointains du grand-père gazé et rescapé d’une guerre.

Sacré programme. Sacré tableau. Du réalisme socialiste aux théories des béni-oui-oui du minimalisme, l’art s’acoquine aux marchés financiers et oublie d’inquiéter.
Business is business.
Où suis-je dans ce misérable potage devenu industrie?

Aujourd’hui tout est beauté et l’art s’évapore.
Je griffonne à changer sans fin l’histoire d’une histoire.

Il faut que je change d’air, d’Ère. J’enfile, contraint, l’hypocrisie de mes désespoirs et gobe, sans histoire, un ramassis d’histoires. Marcher dans l’ailleurs. J’arrive cahin-caha, au delà du milieu de ma vie, sans amertume aucune.
La chose est rapide. La mort est certaine.
De mes amours et de leurs blessures, j’emmagasine dans ce passé simple le carburant de mes inclinaisons et le fardeau de mes doutes.

J’érotise ma vie.
Rêver le temps, rêver la vie pour la construire.
J’imprime, pêle-mêle sur le papier, ces errements vagabonds.
Je partage le tréfonds de mes incertitudes.
Je fais le lit de ma vie en me construisant d’éphémères géographies. Donner à l’autre la peau et la chair de mes vagabondages.

Exister.
La poésie tourmente le réel.

De l’Ère Homère m’incite à m’évader de mes assuétudes, à me projeter dans une odyssée fut-elle fictionnelle ou abracadabrante. C’est mon navire dérivant, désirant, dévorant.
Il me naufrage sur les rives inconnues d’étrangères mythologies.
Elles conduisent l’imaginaire de mes désordres et le socle enfoui de mes rêves au seuil d’hypothétiques lucidités.

Qu’importe le jeu, mais dans ce jeu le je a son centre.
Il m’écrit et je lui restitue une langue.
Fin du magistral tableau dit-on.
Pour autant, les peintures de Lascaux, celles du Caravage, de Picasso et de tant d’autres me nourrissent encore et toujours des énergies de leurs tourments.

Elles me somment à prendre d’autres voix, d’autres supports, d’autres formes, d’autres mots. Besoin d’autres réponses, d’autres lectures. Regarder se transformer l’usure du temps dans les utopies du temps présent. Faire et défaire est le chemin de mes combinaisons.
Des traces, rien que des traces sur l’estampe avide de ma vie.
Dans ce chaos je panse les déserts de ma mélancolie.

Mon regard flotte.
Je vacille, fragile, ici.
Au bout du bout de l’œuvre, cette finitude qui se voudrait hypnotique se fait miroir.
Que reflète et que dit-elle, cette glace sans tain encombrée de mes signes?
J’effleure son miroitement et découvre dans la confusion de mes traits, une stupeur émerveillée, la soie de l’Être, mon Orient. Rêves et douceur d’enfance meurtris des vicissitudes de la vie.
Je suis toujours ce que je vais devenir, écrit le poète Georges Perros.

Tel est mon voyage, cet éternel voyage. Misere.

Lookace Bamber. Le quai des Songes. Amiens novembre 2011