Des vanités au chaos

Vanité.Photographie argentique numérisée.L’art à toujours eu un lien avec la détresse, le désespoir, le désarroi — je songe aux crucifixions du haut Moyen Âge jusqu’à Grünewald, mais aussi aux portraits de la Renaissance, à Mondrian et à Rembrandt,  à Donatello et Pollock -. C’est un aspect que nous négligeons souvent en extrayant les éléments formels et esthétiques  pour  les isoler… écrit l’artiste Gerhard Richter dans ses notes.


L ’AVANT D’APRES
Je vis. Comme ça, par le bout de ma queue. Je jouis. Parfois. Passionnément, obscurément. Pas du tout. La vie,  pourquoi ? Plus de peur, plus d’angoisse. Elles ont cessé de tisser sur l’enclume de leur métier d’apothicaire les repentirs de mon stress. Par décence, je me suis rendu à l’heure de l’étale au très bas de l’océan de ma vie, les pieds dans l’horizon de mes eaux, à l’écoute du rien dans la chasuble aveugle de mon moi. Nu à l’heure du cri fatal. Stop. À cette heure du silence, fut-il matinal, sans espoir d’un ticket de retour,  proche de la casse,  je mesure ma limite et mon égo me délimite dans les débris et le fatras de ma folie. Désordre recomposé en éponge diluée dans le corps creux d’un coquillage nacré j’écoute vos voix et les murmures étouffés de ce monde lessivé. J’aime l’odeur désaffectée de ce liquide volatile. J’aime ce temps dilaté. J’aime cette fugue légère et aimante qui se dérobe et fuit le Grand Tout en forme d’opéra. Elle s’épuise et s’émascule dans l’incessant jeu viril et stupide de ses guerres fratricides. Dieu a perdu la partie. Seul, réside ici, face au mot fin de mes faims, l’impalpable texture de mes doutes. Où suis-je beauté, amour de mes amours?
Le Quai des Songes. Lookace Bamber. Extrait des Vanités au chaos. Livre d’artiste

 

l’art de dé-visager.
Extraits

…Là, sur les murs délabrés du lieu en question, et Dieu sait qu’il questionne, ce lieu, est vaguement écrit un mot impuissant à être écrit, impuissant à être lu, mais on devine des bribes du mot salut, le salut. C’était le salut, le vieux projet des religions, le vieil espoir de cette civilisation enterrée sous les sables ; et dans cette casemate du bout du monde, on essaie de lire ces bouteilles à la mer : des visages.

Des photos, ça s’appelait ?

C’est du mica pourri, rouillé, putréfié, sali par les détritus ambiants, comme si le temps même et même l’air, l’air du temps, l’atmosphère, libéraient les enzymes destructeurs, la saloperie qui se tient au-dessus de nous, épée de Damoclès immonde. La pollution ?

Photographie : surface sensible, sensible aux radiations. Visage aussi. Détérioration de la matière elle-même qui prélude et suit — c’est l’imbrication de tous les phénomènes, l’atteinte du visage. Dans ce trip de la photo, support et image rejetés dans deux dimensions bien séparées, nul ne peut dire ce qui origine.

Incroyable auto agressivité de ce poème blasphématoire. Du déni. Déni du moi matérialisé par
l’indéterminé du fond, l’ambiguïté du cadre, par l’interrogation des espaces, non-lieux privés de
référents, et d’où émergent avant tout, telles des huîtres perlières rescapées, des yeux, ceux de l’antihéros comme après la dernière irradiation. Seuls éléments non inertes au milieu de ce qui déjà n’est que cendres. Ou bien, à l’étap précédente, encore visés, ou déchirés, ou passés à l’acide.
Des yeux cibles, comme si avant tout, c’était l’impossible de la vision qui était puni, torturé.
Le vivant ou sa transcription enfantine, primaire, un peu grotesque.

Le temps d’après la catastrophe, au Messie oublié, avec des fantômes errants sentant venir le
grondement comme dans l’alliance de Christian de challonges, artiste sismographe pris de sorcellerie et de dysfonctionnement oraculaires, comme Lookace Bamber ne réussissant pas-
jamais-à écrire sur ses murs imaginaires, macro-films de l’invasion du rien-ni le mot mort, ni le mot amour, ni le mot la salue, mots d’une langue étrangère, langue défigurée elle aussi, irruption de l’oubli. Histoire à l’envers ou l’outil rejette la main dans la préhistoire, ou les paupières referment.
Le mot mort ne peut-être écrit et prononcé. Il n’y a plus de main ni de bouche. Rien que des
scorpions fouillant dans le sable du linceul de la planète..
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Avida Ripolin, psychanalyste, critique d’art.